Lou Cohen, 2018, Suisse
HD, couleur, français, 22'
Il y a des images dans les images. Des poèmes de Mallarmé déclamés via Tinder. Une tentative de comprendre un « schéma » de l’amour, de la sexualité. Il n’y en a pas, car il y en a mille. Des femmes qui hurlent leur envie de voir d’autres femmes, de se faire du bien, lors d’une réunion de bénévoles. La réalisatrice nous plonge dans une apparente cacophonie qui multiplie lieux et situations. Mais ce soit disant désordre est unifié par la cocasserie des situations, maintenant ainsi notre désir de voir et d’entendre.
⏺ Tu accordes une grande place au texte littéraire, à la récitation. Je me demandais ce qui était venu en premier, les images ou les textes? Comment ces textes avaient nourri ton travail d’écriture, si cela avait influencé ta manière d’écrire des dialogues?
Pendant trois ans j’ai habité à Gaillard, une ville frontalière, un no man’s land, une zone de passage étrange, intermédiaire entre la France et la Suisse. Pour comprendre plus en profondeur la ville dans laquelle je vivais et parce que j’étais persuadée d’obtenir des images intéressantes, j’ai demandé aux commerçants de Gaillard de me lire des poèmes érotiques. Selon le même protocole, un boucher, un boulanger, une vendeuse dans un sex-shop, une tresseuse de cheveux, lisait devant ma caméra. Je voulais voir ce qui se créé.
La femme qui tresse n’a pas prononcé le mot «culs» à deux reprises, elle semblait ne pas le voir sur le texte imprimé. C’est à la 3ème prise, qu’elle a rit avant de prononcer le mot.
Le boucher m’a beaucoup plu, il a lu le texte avec une désinvolture qui effaçait toute trace d’érotisme dans le poème.
Suite à ces prises de parole, j’ai imaginé mes personnages; ils citent des poèmes érotiques écris par de grands auteurs français pour s’exprimer. Je trouvais intéressant de confondre le langage commun, parlé et celui du poème altier, écrit. Émerge alors un troisième propos, celui propre à mes personnages. Elie cite Mallarmé et envoie une voice note à sa meuf « Je sais que près de toi je bande vertement, et je n’appréhende aucun malheur, sinon de voir, entre mes cuisses engourdies, ma pine flasque et molle choir » Le texte érotique dit les tensions amoureuses, le visage des actrices et des acteurs se substituent à l’image érotique. Chacun à sa façon laissera apparaître ses émotions, chacune à sa manière laissera entrevoir ses tensions érotiques. En explorant les limites de ce système, les personnages s’entrecroisent, laissant parfois transparaître un peu de leur intimité, délicatement, sans trop montrer, sans jamais surtout ne rien découvrir.
⏺ Tu parles des rapports amoureux, d’identité sexuelle, de culture, et même de patronat. Le film peut paraître morcelé, la narration n’est pas vraiment linéaire, ton spectateur peut être un peu perdu s’il s’attache à vraiment y chercher une narration « classique ». Comment as-tu construit le film ? Est ce que cette forme narrative était déjà établie dès l’écriture ou bien est-ce au tournage et au montage que tu as décidé de rendre les chose moins linéaires?
Le scénario était écrit. Je voulais y mettre un garçon torse nu, un stade de foot, je voulais que le film se termine avec toutes mes copines, je voulais foutre le bordel dans un musée, mais je ne me suis jamais interdite ni au tournage, ni au montage de changer la direction d’une scène si j’avais le sentiment que le rendu serait mieux qu’au scenario. Mon projet était de présenter de façon absolument discontinue des bribes de conversations, un langage chanté, chuchoté ou parlé. Le personnage principal du film serait le langage, et les personnages qui gravitent autour se l'approprient, l'utilisent selon eux et a leur gré. Est ce que c'est possible au cinéma de décider que la parole soit le personnage d’un film? Je me suis demandé si les images peuvent dire sans montrer. Les textes, en l’occurrence les textes érotiques disent-ils ou montrent t-ils? Et que disent-ils à notre imagination?
Les images du film apparaissent pour dire, plutôt dire que montrer.
La discontinué, les coupures temporelles, les hors-champs, c’est peut être ça l’érotisme ultime, ce que l’on ne voit pas.
Curation et Interview - Arthur Miserez